Article publié depuis Overblog
Article de Médiapart
"Les Français établis à l’étranger ont voté massivement en faveur d’Emmanuel Macron lors de l’élection présidentielle, afin d’écarter l’extrême-droite.
Aux élections législatives, ils choisirent, dans dix circonscriptions sur 11, les candidat(e)s du parti du président de la République. Qui pouvait imaginer qu’une fois élus, le président de la République, celui-même qui dit vouloir réconcilier nos concitoyens avec la mondialisation, allait faire des Français de l’étranger les premières victimes de sa politique ?
A quoi bon vanter nos capacités d’influence, nous présenter comme des ambassadeurs de la France, si c’est pour pénaliser notre quotidien avec autant de brutalité ?
Les piliers de la présence française affaiblis
Chaque année, nous sommes plus nombreux à nous établir à l’étranger. Choix professionnels, familiaux, attrait pour une autre culture… Nos profils se sont d’ailleurs diversifiés depuis que la mobilité internationale est devenue une réalité. Nous sommes attachés à la France, notre pays.
Nous savons que la France se déploie dans le monde grâce à son réseau diplomatique et consulaire, aux réseaux éducatif et culturel, uniques au monde, qui font sa force, qui rayonnent et font vivre nos langue et culture.
Quand nous en avons la possibilité, nous faisons majoritairement le choix de maintenir nos enfants dans l’enseignement français à l’étranger que tant de pays nous envient, dans des centres homologués par l’Etat, en partie subventionnés ou directement gérés par ce dernier.
Chaque jour plus coûteux, cet enseignement n’en demeure pas moins attractif; il demeure encore accessible à un coup plus modéré, couvert en partie par un système de bourse, et assuré par une partie importante d’enseignants détachés de l’Education Nationale.
Ces établissements dont la scolarité est payante sont aussi un des vecteurs du rayonnement culturel français à l’étranger à destination des élites économiques des pays où ils se trouvent. L’AEFE, l’agence en charge de ce réseau, compte ainsi 492 établissements homologués dans 137 pays, scolarisant près de 350 000 élèves dont plus d’un tiers sont français.
C’est en grande partie par le biais de cette possibilité de scolarisation que de nombreux Français conservent des liens forts avec leur patrie y compris lorsqu’ils vivent à l’étranger depuis plusieurs générations. A l’heure de la globalisation, cette présence française dans le monde, ces centaines de milliers d’enfants et de jeunes binationaux qui y grandissent, sont un immense atout pour notre pays, qu’ils restent à l’étranger où qu’ils reviennent en France, riches de tant d’expérience internationale.
Le système éducatif français à l’étranger maltraité depuis longtemps
Il n’en reste pas moins que cet outil incroyable de notre influence et du maintien du lien avec la France est depuis des années maltraité. Nicolas Sarkozy promit la gratuité de la scolarité à l’étranger pour les familles françaises. Onéreuse et aléatoire, cette mesure avait été finalement limitée aux seules classes de lycée, avant d’être abandonnée par le gouvernement Hollande, faute de moyens. Elle s’était surtout accompagnée par une sévère et contradictoire politique de réduction budgétaire pour l’AEFE, dans le cadre de la RGPP. En fait, sous Sarkozy, le gouvernement puisait dans les dotations aux établissements pour financer l’aide aux familles, déconventionnait de nombreux centres dans le monde et supprimait massivement des postes de fonctionnaires détachés (dont le salaire est payé à la fois par l’État et les familles).
Cette politique eut pour conséquence directe l’envol des frais de scolarité devenus prohibitifs pour une partie des Français qui résident à l’étranger. Elle affaiblit l’ensemble des services publics à l’étranger, en particulier la présence consulaire - on ne compte plus depuis cette période les fermetures de consulats, et culturelle, tout comme les aides sociales.
Si la victoire de François Hollande mit fin à la prise en charge et rétablit l’attribution de bourses sur critères sociaux, son quinquennat prolongea les restrictions budgétaires de son prédécesseur : 25 millions d’euros de moins de dotation que le dernier budget Sarkozy, malgré la priorité donnée à l’éducation en métropole.
Ce fut un budget de l’AEFE en baisse, un budget des bourses sous-doté dans un contexte d’augmentation de la demande et des frais de scolarité, une mobilité enseignante rendue plus difficile, et lors du dernier budget voté, les moyens de l’action culturelle à l’étranger affaiblis.
Le réseau scolaire français dans le monde, à l’image de l’ensemble des services publics à l’étranger, se trouve donc en 2017 dans une situation de grande fragilité.
Des coupes budgétaires sans précédent
Emmanuel Macron pouvait changer la donne, et redonner les moyens à la France d’exister sur la scène internationale, autrement que par ses interventions militaires. En trois mois, les décisions prises par son gouvernement marquent une funeste continuité. Il n’en reste pas moins que l’ampleur des coupes budgétaires est sans précédent. C’est rapide et violent. Et ce avec le silence complice des députés des Français de l’étranger qui semblent indifférents au sort de ce formidable outil.
Tel un rouleau compresseur, le nouveau gouvernement, à peine formé, a choisi de supprimer, par surprise et sans concertation aucune, une tranche entière de la dotation de l’AEFE, soit près de 33 millions d’euros sur la fin de l’exercice 2017 (près de 10% de sa dotation publique), un coup de canif sans précédent. A cette somme s’ajoutent d’autres surcoûts pour les établissements français, comme les 2 millions d’euros qui doivent compenser les difficultés de détachement de fonctionnaires (autre problème sur lequel aucune solution tangible n’a été ni trouvée, ni cherchée à l’heure où près de 90 agents n’ont pu être détachés par l’Education Nationale et ont du être remplacés par des personnels payés en totalité par les établissements).
Le coup est extrêmement dur, alors que de nombreux pays et établissements connaissent déjà des difficultés économiques importantes et que des centres scolaires ont provisionné des fonds pour des investissements immobiliers, désormais pris en charge principalement par la participation des familles et non plus par l’État et alors que les frais de scolarité explosent depuis 10 ans (+ 50% en moyenne). Les fonds de roulement et la santé économique de ces établissements sont aujourd'hui menacés par ces mesures. Le principal réseau d’associations de parents ne s’y est pas trompé en adressant au nouveau président de la République une lettre au ton particulièrement dur. L’enchantement aura été de courte durée.
Les risques de démantèlement du réseau
Le gouvernement tente de cacher la réalité de cette vaste opération de démantèlement, en présentant ces décisions comme une simple mesure "technique" et "exceptionnelle", ce que dément le détail des économies qui nous est progressivement révélé. Un beau coup de Jarnac. En 3 mois, ce gouvernement aura autant affaibli l’enseignement français à l’étranger que tout le quinquennat Hollande.
Comment trouver 33 millions d’économies dans un réseau déjà en difficulté ? Dans un premier temps, la participation financière complémentaire de 6% que versent sur leur recettes les établissements conventionnés et en gestion directe de l’Agence va passer à 9% en 2018 puis à 7,5 % en 2019. Beaucoup des établissements en situation fragile, pourraient ainsi être tentés de sortir du giron direct de l’AEFE et se contenter du statut de centre homologué (établissement privé qui n’a qu’une relation administrative dans le domaine pédagogique avec l’Agence).
Les déconventionnements sont donc susceptibles de se multiplier, en particulier dans des espaces de la planète où ils sont nombreux comme en Amérique latine. Au-delà de ces mesures techniques et des discours de façade, il y a bien des décisions structurelles qui entendent provoquer un changement de modèle scolaire. Cette sévère réduction budgétaire s’accompagnerait ainsi d’une saignée de postes sans précédent dans le monde, au moment même ou le nombre d’établissements et d’élèves ne cessent de croître. En amont du Conseil d’Administration de l’Agence du 27 novembre, a été annoncée aux partenaires sociaux une suppression massive de postes : au budget 2018, suppression de 80 postes d'expatriés et de 100 postes de résidents (rentrée 2018), en 2019 et 2020: suppression de 66 postes d’expatriés et de 100 postes de résidents (chaque année). Au total, il s’agirait de près de 512 postes sur 3 années budgétaires qui seront supprimés, du jamais vu.
Ce n’est pas un simple plan d’économies mais une attaque en règle du réseau français à l’étranger. A l’horizon, se profile la privatisation totale de l’enseignement français et l’abandon des acteurs d’un réseau exemplaire dans le monde.
Mobilisons-nous
C’est pour nous, Français de l’étranger, une très mauvaise nouvelle. Le désengagement de l’Etat a pour conséquence immédiate l’envolée du prix de la scolarité, et si le budget des bourses (programme 151 du MAEDI) semble ne pas diminuer, c’est de fait une baisse des moyens alloués aux familles, puisque le nombre de demandeurs ne cesse d’augmenter.
Les déscolarisations d’enfants français se sont multipliées ces dernières années, notamment dans les pays en crise, alors que le système des bourses ne parvenait pas à couvrir les besoins. Elles risquent de reprendre de plus belle.

Premiers Signataires :
Sergio Coronado, ancien député des Français d'Amérique latine et candidat écologiste au 2ème tour des législatives 2017 ;
Cécile Lavergne, élue consulaire de Colombie à l'Assemblée des Français de l'étranger ;
François Ralle Andreoli, élu consulaire et candidat de la plateforme citoyenne Agissons Ensemble au 2ème tour des législatives 2017.