Les cinq nouvelles gagnantes du concours de nouvelles

Publié le par Français du monde - adfe - Costa Rica

Concours de nouvelles 2015

Thème : A bras ouvert

Trois mots obligatoires parmi les mots de la francophonie 2015

  • amalgame (arabe)
  • bravo (italien)
  • cibler (suisse allemand)
  • grigri (origine inconnue)
  • inuit (inuktitut)
  • kermesse (flamand)
  • kitsch (allemand)
  • sérendipité (anglais)
  • wiki (hawaïen)
  • zénitude (japonais)

Les cinq nouvelles lauréates du concours 2015

La Course des Rats

Will Lazo (1ère, lycée Franco Costaricien)


Difficile d’imaginer un endroit plus obscur pour courir ou plus sombre pour rêver mais le chantier était empli d’hommes, de femmes et d’enfants qui, en famille ou seuls, se préparaient pour la course. Jose se retrouvait parmi les premiers dans la file, l’étiquette qu’il portait sur le torse indiquait qu’il était le mille cent-vingt et unième coureur, d’autres n’avait ni numéro ni étiquette car leur condamnation était de marcher et de ne jamais arriver.

Sa famille l’avait poussé, dès son plus jeune âge, à chercher une meilleure situation qui lui permettrait de se détacher des chaines de lamentations et de l’exclusion. Le temps s’écoulait trop rapidement pour lui dès qu’il sut qu’il n’était plus sur la liste d’attente et ce fut le cas aussi pour la plupart de ses voisins ; peut-être l’envie de participer s’émoussait mais maintenant, à cinq minutes du commencement, ce qui persistait était la nervosité qui s’attachait aux vêtements comme une odeur persistante et nauséabonde.

Quelques-uns étaient dubitatifs quant au fait de considérer cet évènement comme une discipline mais sport extrême ou pas, ils marchaient tous avec du poids, tête haute, ils n’attendaient que le premier coup de feu pour sortir et atteindre la ligne d’arrivée. Des grimaces se lisaient sur les visages des coureurs, tout le long de la piste ; certains ne pouvaient que balbutier à cause de l’effort physique , d’autres couraient sans savoir ce qu’il y avait sous leurs pieds. La fatigue et la soif n’étaient que des problèmes sans solution, chacun dans sa tête devait faire face à ses démons intérieurs , à son imagination, à ses souvenirs mais aussi à l’avenir, à des questions qui devenaient de plus en plus incessantes et dont les réponses étaient incertaines.

La course des amateurs effrayait même les vétérans, comme des rats, l’un passait au-dessus de l’autre, blessant des bras, des pieds ou des yeux ; l’important était d’arriver avant tout le monde parce qu’ici mourir en essayant n’était pas une option, les promesses étaient bien trop lourdes pour s’asseoir à attendre.


A la moitié du chemin ils eurent un espace pour respirer, s’étirer et guérir les blessures les plus superficielles car le dommage le plus profond n’était pas visible. Les bouteilles d’eau étaient comptées et il n’y en avait pas suffisamment pour partager ce qui causa une dispute entre Jose et une famille qui voulait lui arracher sa portion de liquide, rapidement le guide - ou le coyote comme certains l’appelaient- dut intervenir pour mettre un terme à la bagarre. Le sang coulait sur les joues du jeune homme à peau foncée qui avait montré une attitude encore plus violente que les autres.

Après les dix minutes de pause, il était temps de reprendre et une fois de plus, comme dans la première partie de la course, ce fut une compétition féroce et létale, l’idée d’être vainqueur n’était nullement liée à la tentation mais à la séduction. Tous portaient de manière générale des images de la vierge et des chapelets qui maintenant étaient leur seule connexion au passé. La course était difficile, plusieurs obstacles apparurent, tous causant du mal aux coureurs ; s’imposer aux autres devenait de plus en plus difficile pour tout le monde, les enfants dans leur majorité déshydratés ne pouvaient plus suivre le rythme poussant les femmes à les laisser seuls dans ce désert d’espoirs. Seuls les plus braves eurent le courage de continuer à porter leurs fils et leurs filles sur le dos, leur peau brûlée par la friction du soleil les amenaient à pousser des cris, des cris infernaux qui leur ôtaient le peu d’oxygène dont ils disposaient. Une journée et demie après, pour ceux qui restaient encore, l’image de l’horizon commençait à se montrer.

À cinquante mètres de l’arrivée ce n’était plus une piste d’athlétisme mais un cimetière, une fausse commune d’aspirations d’hommes qui se sont fait agenouiller à la frontière de leurs dernières pensées. Contrairement à ce qu’on peut imaginer on ne les attendait pas à bras ouverts de l’autre côté de la ligne d’arrivée, aucun bravo, aucune chaîne de télévision, aucun journaliste pour couvrir cette kermesse Latino-Américaine …seulement le rejet d’un mur, d’une nation et d’un peuple qui, trop arrogant pour se rappeler son histoire, avait décidé de fermer les portes à un continent entier, oui les portes qu’ils avaient eux-mêmes une fois ouvertes. C’est la fable des États-Unis, la terre des immigrants.

La Mort à bras ouverts

Paula Céspedes, (1L, Lycée Franco Costaricien)

« […] Au bruit la mort arrive
Comme une chaussure sans pied, comme un costume sans homme,
Elle arrive pour frapper avec une bague sans pierre et sans doigt,
Elle arrive pour crier sans bouche, sans langue, sans gorge.
Cependant ses pas résonnent
Et son habit résonne, silencieux comme u
n arbre. »

Pablo Neruda, Seulement la mort

Margo arriva à la ville un dix-neuf janvier. Elle portait une paire de vieux jeans patte d’éléphant, des Converse plus noires que blanches, un débardeur blanc et un foulard rose autour du cou; ses cheveux noirs étaient attachés dans une tresse et elle marchait en toute sécurité dans les rues de Lille avec une petite valise à la main et une veste dans l'autre.

Les yeux des hommes et des femmes étaient rivés sur elle, parce-que ce n’était pas normal de voir une jeune femme de dix-neuf ans aussi perdue qu’elle l’était avec son pantalon patte d’éléphant et sa vieille valise en cuir dans les rues de Lille un dimanche matin aux aurores.

-Est-ce que je peux vous aider?

Margo saisit son sac énergiquement au cas où le gars avec les cheveux et les yeux noisette oserait le lui voler, parce que c’était tout ce qu’elle avait de son passé.

-Oui, je veux aller au vieux château des Abouly ...

-Des Abouly? Mais c’est juste à la sortie ...

-Oui, je sais, l’interrompit-elle avec désespoir. Elle voulait rentrer à la maison et se détendre ; elle avait traversé l'Espagne et la France pour retourner à la maison et elle ne voulait pas perdre une seconde de plus.

-Je peux vous y amener, offrit le garçon pendant qu’il se grattait l'oreille pour essayer de cacher sa nervosité.

Elle ne répondit pas. La dernière fois que quelqu'un lui avait offert de l’aide c’était en 1969 et elle avait terminée à Woodstock, sans bagages et sans argent.

-Je m’appelle Léo, il tendit la main et quand il vit qu'elle ne l’acceptait pas, il ajouta : et je ne vous blesserai pas, je le promets.

-Margo accepta le geste et sourit, en montrant ses dents blanches.

-C’est un plaisir, Margo. Maintenant, que diriez-vous si on y allait?

La route vers le château des Abouly n’avait pas été pavée et n’avait pas été entretenue durant des années, car il y avait des trous, et de la poussière s’élevait au passage du vieux Chevrolet Impala de Leo. Margo regarda par la fenêtre, en admirant le paysage qui avait beaucoup changé depuis la dernière fois ou elle avait été là, en mil neuf-cent...

-Margo? La voix de Léo la sortit de ses pensées nostalgiques.

-Léo?

- Pourquoi allez-vous à la maison Abouly ? Vous savez qu'il n'y a rien, non?

-Elle est vide?

-Eh bien ... non. Mais c’est une propriété privée, on ne peut pas y entrer, et encore moins quelqu'un de sain d’esprit.

Elle ne répondit pas parce que quand il vira à droite, elle vit à travers les arbres la vieille maison. La porte semblait endommagée et la maison avait l'air dégradé, ce qui remplit le cœur de Margo de remords.

-Stoppez la voiture, s’il vous plaît, demanda-t-elle à Léo qui s’arrêta à la porte d'entrée de la maison et se tourna vers elle pour la voir.

Les yeux bleus de la jeune fille brillaient quand elle sortit une clé de son pantalon; elle descendit de la voiture et se dirigea vers la serrure, et avec empressement elle inséra la clé, la tourna vers la gauche deux fois et ... la porte céda. Elle se tourna vers la voiture, l’air victorieux; Léo avait l'air surpris, la bouche et yeux ouverts, mais elle ne comprenait pas sa réaction. Quand elle se retourna pour prendre la clé de la porte d'écluse, elle remarqua que les arbres qui ornaient la voie, qui il y a une minute étaient flétris, étaient en train de fleurir. La maison avant non peinte et sans vie, était peinte en blanc et bleu, comme quand elle y habitait ; la porte était en parfait état, peinte en noir et en or avec des détails luxueux.

Elle prit la clé de la porte et ferma les yeux étroitement, en pensant à la manière dont elle allait devoir expliquer à Léo ce qu'il avait vu ... Mais le plus important était : comment lui faire oublier ce qu'il avait vu?

-Margo ...

-Vous voulez entrer?, lui demanda-t-elle, et immédiatement elle mordit la langue.

Il cligna des yeux de surprise et hocha la tête; une fois Margo dans la voiture il suivit la route jusqu’à l'entrée principale de la maison.

Les escaliers craquèrent un peu sous le poids du gars, qui se retourna vers elle et la regarda avec crainte.

-Rien ne va se passer, ne craignez rien. Elle monta les escaliers deux par deux, comme elle l'avait fait plusieurs fois quand elle était petite ; mit une autre clé dans la serrure de la porte et tourna la poignée.

-Venez, je vais vous montrer l'endroit.

-Êtes-vous sûr que nous pouvons être ici?

-Bien sûr, nous le pouvons. C’est chez moi.

Léo se tourna vers elle l’air surpris, mais elle n’était plus avec lui, elle était au sommet de l'escalier l’attendant la valise à la main.

-C’est chez vous ?

-Venez, je vais vous montrer.

Léo grimpa attentivement les escaliers parce qu’il savait que la maison avait plus de cent ans et parce que les gens de la ville disaient que la maison était hantée.

-Dépêchez-vous ! cria-t-elle d'en haut.

Il s’arma du courage et gravit les escaliers rapidement; plus vite il ferait le tour, plus vite il s’éloignerait de cette maison et de la folle qui disait que la maison était à elle.

Quand il finit de monter les escaliers, il regarda un peu pièce par pièce ; il était surpris de voir que tout était en parfait état, avec des lits et des meubles et tout était propre. Il trouva Margo dans la chambre au bout du couloir, et bientôt il découvrit que c’était une bibliothèque de la taille de la maison dans laquelle il vivait.

-Quelles sont les rumeurs autour de la maison?, demanda-t-elle doucement.

-Les gens disent que qu’elle est hantée, c’est tout.

-Oh ... Et Vous les croyez ?, demanda-t-elle avec tristesse. Elle se tourna vers lui et à ce moment-là il put admirer sa beauté. Elle avait les yeux bleus et les cheveux noirs comme la nuit, sa peau était bronzée, comme si elle venait de passer un mois à la plage, et elle avait la taille très prononcée, comme si elle portait un corset sous ses affreux vêtements.

-Bien sûr ! dit-il. Vous avez vu comment la maison est devenue vivante quand vous avez tourné la clé? C’est de la sorcellerie ! À peine il le dit, il réalisa qu'elle était en train de couvrir sa bouche, puis il paniqua parce qu'elle était de l'autre côté de la pièce deux secondes auparavant et maintenant elle se tenait devant lui.

-Ne dites pas ça, s’il vous plait... supplia-t-elle avec des larmes dans les yeux.

Elle enleva sa main de la bouche de Léo lentement puis elle recula en se mordant les lèvres.

-Comment avez-vous ...? Vous étiez de l'autre côté de la pièce, Margo ! s’écria-t-il horrifié.

-Je suis désolé, laissez-moi m’expliquer!

Il la regarda confus et hocha la tête légèrement. Une partie de son cerveau lui disait qu'il devait s’enfuir et dire à tous qu’une sorcière folle habitait la maison des Abouly, mais l’autre partie était si curieuse qu'il voulait rester et écouter tout ce que Margo avait à dire.

"Ta curiosité causera ta mort un jour," avait dit sa grand-mère quand il était enfant.

Margo prit un album de photo sur l’une des étagères, le mit sur le bureau et lui fit signe de se rapprocher. Il le fit rapidement car il continuait de penser que plus vite il sortirait de là, plus vite il serait loin de cette folle.

-Là, c’est moi, expliqua-t-elle. Sur la photo il pouvait voir une femme comme Margo, avec une robe à fleurs pompeux jusqu’aux genoux et les cheveux courts et bouclés.

-C’est impossible.

-Non, ça ne l'est pas.

-Mais c'est une photo de mille neuf cent quarante-deux, Margo.

-Oui. Vous vous rappelez toutes ces histoires de magie que les mamies racontent pour endormir les enfants ?

-Ouaip.

-Elles sont réelles, Léo. La magie existe.

Il la regarda comme si elle était folle, ce qui dérangea Margo. Les livres commencèrent à tomber des étagères et la porte claqua.

-Margo, que se passe-t-il...?

-Vous pensez que je suis folle, Léo?

-Non, non ! , dit-il rapidement; Margo se calma, les choses cessèrent de tomber et la porte se ouvrit.

Elle l'invita à s’asseoir sur le canapé qui se trouvait dans la bibliothèque et lui raconta son histoire.

Lorsque Margo avait treize ans la Seconde Guerre mondiale avait éclaté. Son père était un homme d'affaires très riche dans la région et sa mère était institutrice. Elle avait vécu dans le château avec ses parents, son frère de dix-sept ans Damien et sa grand-mère maternelle, qui lui avait enseigné d’anciennes histoires de sorcières et de sorciers en Afrique qui étaient si puissants qu’ils pouvaient ramener les morts à la vie. Comme c’était à prévoir, la mère de Margo était en désaccord avec l'éducation fournie par la grand-mère, même si elle avait défendu au bec et ongles que Margo avait besoin de savoir ce qu'il adviendrait de sa vie.

Quand elle avait eu seize ans, son frère était mort du paludisme pendant son service militaire et elle était tellement déprimée qu’elle avait constaté que la seule façon de rester "en contact" avec lui, était d’être bénévole comme infirmière, grâce à l’enseignement des premiers soins que sa mère et grand-mère lui avait donnait. C’est ainsi que pour ses dix-huit ans, elle s’était portée volontaire et elle était partie pour un an et six mois sauver des vies et accompagner les hommes sur leur lit de mort. Quand elle avait eu dix-neuf ans, il était tombé gravement malade et avait été renvoyée à Lille pour passer ses derniers jours avec sa famille et mourir en paix. Mais sa mère, désespérée par la peur de perdre un autre enfant, avait imploré la grand-mère de Margo pour qu’elle utilise sa magie pour la sauver et ce fut à cet instant que Margo avait compris pourquoi sa grand-mère parlait toujours de vieilles histoires et lui lisait des livres de magie si vieux que les pages pouvaient se déchirer si elles n’étaient pas traitées avec soin. Sa grand-mère avait accepté, mais elle avait dit qu’elle n’avait pas la force ni la vie nécessaire pour empêcher la mort de son unique petite-fille, donc la vie et la force de la mère avait été nécessaire pour sauver Margo.

-Une nuit, elles s’étaient enfermées dans la pièce avec moi et avaient commencé à chanter dans une langue des Inuits et puis dans une langue africaine, dit-elle à Léo. Je me souviens qu’elles avaient mis un liquide sur mon corps et m'avaient fait quelques dessins, et après une heure ou plus de chansons, elles avaient mis la main sur mon cœur et à ce moment-là une lumière aveuglante était venue d'elles. Quand je m’étais réveillé, elles étaient parties.

-Qu'est-ce que c’est arrivé? demanda Léo.

-Elles étaient mortes. Pour me sauver elles devaient donner leurs vies et c’est ce qu'elles avaient fait.

-Mais c’était en mille... ?

-Je ne peux pas vieillir, Léo, expliqua-t-elle. Elle se leva et quitta la salle, le gars derrière elle. Et je ne peux pas mourir ; une maladie ne me tue pas, ni un accident.

-Alors t’est immortelle ?

-À moins que la Mort vienne pour moi. Vous devriez partir, il fait noir.

Léo allait protester, il allait lui dire qu’il voulait en savoir plus à son sujet, mais tout à coup il vit tout en noir et tomba dans un profond sommeil. Quand il se réveilla, il était chez lui.

Léo s’était habitué à Margo, et il avait pris l'habitude d'aller la voir chaque fois qu'il le pouvait. Il était tombé amoureux. Il portait toujours des cookies ou la forçait à quitter la maison pour se promener dans le jardin, car c’était une propriété immense et il y avait certaines routes avec des arbres fleuris qui avaient toujours attiré son attention car il lui semblait qu’ils se déplaçaient.

-Je ne comprends pas pourquoi les arbres se déplacent et pourquoi j’ai l'impression que la maison est toujours heureuse, dit-t-il en prenant la main de Margo, c’était une petite habitude qu'il avait acquis durant le dernier mois.

-La maison est reliée à mon énergie, Léo. C’est pourquoi avant d'ouvrir la porte, la maison semblait laide, triste, déprimée…, car elle était dans l’oubli depuis longtemps.

Léo s’arrêta quand il vit une ombre noire et infernale qui lévitait dans le chemin, en les regardant. Margo réalisa l'inconfort de Léo et regarda dans sa direction, mais ne vit rien.

-Léo, qu’est qui t’arrive ? demanda-t-elle. Le garçon se tourna vers elle avec peur et l'attira vers la maison, une fois à l'intérieur, il verrouilla la porte.

- Oh, Léo ! Elle posa ses deux mains sur les épaules de son amoureux et avec un peu de magie le força à se calmer.

-Tu ne l’as pas vu? Quand il vit le regard de confusion sur le visage de Margo, il poursuivit. Il y avait dehors une figure noire et diabolique qui me semble depuis ...

-Noire?, l’interrompit-t-elle avec peur.

-Oui, elle m’apparait depuis ... depuis que je t’ai rencontré, mais je pensais que c’était seulement des mirages.

Margo se crispa et courut vers les escaliers, elle les monta et quelques minutes plus tard, revint avec une sorte de collier à la main.

-Ça c’est un grigri. Il va éloigner les mauvais esprits. Ne l’enlève jamais, lui ordonna-t-elle. Et si tu vois que quelque chose d’étrange commence à se produire, tu dois quitter la maison le plus rapidement possible, dit-elle, puis elle l'embrassa.

À cet instant, les ampoules explosèrent et le ciel devint noir, comme si une tempête s’approchait. Léo prit la main de Margo et la tira vers lui pour la protéger avec son corps, mais il était évident que c’était elle qui allait le protéger.

Une figure noire apparut en face d'eux, au pied de l'escalier et tendit sa main, en attendant que l'un d'eux l’accepte.

-Elle vient me chercher, lui expliqua Margo à Léo. Elle m’a cherché pendant longtemps, et maintenant elle m’a trouvée.

-Pourquoi elle ne l’avait pas fait avant?

-Je m’enfuyais toujours. Mais maintenant que je suis restée au même endroit, elle m’a retrouvée...

La voix de la Mort retentit dans la salle : L’amour vous a rendu faible, mon ancienne amie,

Leo se tourna vers elle, déterminée à ne pas la laisser mourir et à l'aider à s’échapper, mais elle prit son visage dans ses mains et le regarda avec tristesse.

-T’es le seul que j’ai aimé depuis mil neuf cent quatre-vingt-cinq, avoua-t-elle avec un sourire. Celui que j’aimais est mort il y a longtemps et je ne voudrais pas rester et te voir mourir aussi.

-Non ! Je ne peux pas te laisser...

-Pendant les quatre-vingt-quatre dernières années, j’ai vu tout le monde autour de moi mourir, Léo, tu ne peux pas me demander de continuer.

Les larmes commencèrent à sortir des yeux bleus de Margo.

-Tu ne peux pas me demander de te voir mourir, s’il te plaît comprend-moi.

Elle plaça ses mains de chaque côté de la tête de Léo, prêt à effacer sa mémoire, mais il l'arrêta et lui demanda de lui permettre de la garder.

-Tu es ma sérendipité, il confessa, car elle était la meilleure chose qu’il ait jamais rencontrée.

- Bravo, finalement tu as décidé d’arrêter de courir, dit la Mort.

-Au moment où j’accepterais sa main, tu auras peu de temps pour sortir d'ici, dit-elle à Leo, parce que la maison va s’effondrer.

Il joignit ses lèvres aux siennes, et essaya de tout faire pour l’enregistrer dans sa mémoire: les lèvres rouges, la peau lisse et tannée, l’odeur de cannelle et les robes kitsch des années quarante.

Margo lui fit un doux sourire et toucha son visage pour la dernière fois.

Elle s’avança et accepta la Mort à bras ouverts.

A BRAS OUVERTS

Elle marchait tous les jours, tête basse, par les rues de la ville. Elle faisait partie de cette marée humaine qui submergeait tout dans le boulevard éclairé. Tout comme ses pensées submergeaient son voyage dans la rue. Elle n’était pas vraiment consciente de l’importance du soleil sur sa peau, du vent dans ses cheveux.

Elle faisait ce trajet depuis des années, et pourtant elle n’avait jamais aperçu l’homme à l’accordéon.

Pour lui faire justice, lui non plus ne l’avait jamais aperçue. Il ne pouvait pas, en fait. C’est un des effets secondaires quand on est aveugle, figurez-vous.

Et elle, pauvre petite Anouk, avec ses courts cheveux noirs en bataille et l’air ensommeillé propre aux poètes et aux étudiants (elle faisait partie des deux), marchant avec un air absent au milieu du flot de gens, serait passée devant le vieux, ignorée et ignorante, si un minuscule morceau de musique ne s’était glissé parmi les obstacles et n’était arrivé à ses oreilles, qui n’eurent pas le cœur de le dédaigner.

Elle s’arrêta tout d’un coup, les personnes s’écoulant tout autour d’elle, ses yeux cherchant ce que ses oreilles avaient capté, ses yeux énormes, frangés de cils épais et d’une légère insouciance.

Un vieux, au coin de la rue, assis au milieu d’une merveilleuse collection d’instruments. Des trompettes, saxos, harmonicas, en déchéance tout autour de lui.

Anouk, comme en transe, ses grands yeux fixés sur l’orchestre fantôme, pendant que le vieux aux lunettes noires passait ses doigts agilement, amoureusement, douloureusement sur les clefs de marbre de l’accordéon.

La même scène se répéta le jour d’après. Et celui d’après. Et ainsi de suite. Et toujours le vieillard anonyme caché derrière ses lunettes noires, et toujours Anouk dissimulée par les gens autour d’elle et par le soleil d’après-midi.

Et la nuit Anouk, les yeux grands ouverts essayant vainement de dessiner la musique dans la face de la Lune.

Et pourtant cette musique qui l’attrapa au dépourvu, les bras ouverts, ne réussissait pas à faire tinter du moindre sou la tasse de cuivre posée sur un tambour rouillé.

Puis, un matin. Elle marchait avec un amalgame indéfini d’espoir et d’ivresse autour d’elle. Le vieux, elle le savait, restait là toute la journée. Peut-être était-ce trop tôt? La lumière de l’aube était encore grise ; la ville se réveillait à peine.

Il fallait tourner le coin pour voir le vieux. Elle compta les pas. Elle ferma les yeux quand elle arriva au coin de la rue. À ce moment, elle songea à l’image qu’elle donnait, petite poète Inuit avec un t-shirt bien trop grand pour elle, courtes mèches de cheveux dansant avec le vent, yeux fermement clos. On aurait dit qu’il y avait deux aveugles ! Bon, un seul quand ses yeux s’ouvriraient.

Elle les ouvrit.

Lamentablement, Anouk n’avait jamais été très bonne en maths. Et, pour cette équation particulière, deux moins un n’était pas égal à un. C’était égal à un gros et laid zéro.

Zéro instrument éparpillé sur le sol. Zéro aveugle improvisant pour le boulevard endormi. Et, cela va sans dire, zéro musique pour les oreilles d’Anouk.

Elle resta immobile, silencieusement bouleversée. Le concept du vide, du rien, la frappa sans pitié.

Elle s’en est allée peu de temps après, comme une automate déambulant dans la rue.

Elle garda des sous, pensant que, si le vieux resurgissait, elle les lui donnerait tous. Elle pensa même à se présenter.
Elle ne le revit plus.

Et elle continua, jour après jour, soleil ou pluie ou étoiles, à se “pauser” un moment et regarder la petite flaque de vide qui avait usurpé la place du vieux.

Un jour (il pleuvait; elle lisait) quelqu’un frappe à la porte. Elle traversa le petit appartement avec une tasse de thé à la main. Elle ouvrit la porte.

--Venez avec moi.

Il s’agissait d’une jeune fille un peu plus grande qu’Anouk, avec des vêtements souillés de rue et une peau ensoleillée. Des cheveux incroyablement crépus, d’une couleur d’or-brun. De grands yeux durs en amande.

--C’est qui?

--Atlas. Venez avec moi.

Elle le dit d’un ton de commandement qui allait avec la dureté de ses yeux. Plutôt inusuel pour quelqu’un qui de toute évidence vivait dans la rue.

--Je sais où il est—lui murmura-t-elle, avec une nuance d’impatience dans sa voix.

Anouk n’avait pas besoin d’autre raison. Elle oublia les sous, mais elle emporta la tasse de thé avec elle, juste au cas où.

Ce fut une course échevelée, magique, qu’elles firent pour arriver au boulevard. Anouk était trempée; Atlas s’enfichait. Atlas s’arrêta abruptement près d’un réverbère qu’Anouk n’avait jamais remarqué.

--Bon, voilà—dit Atlas en poussant un soupir après avoir regardé autour d’elle--. Il a reçu un héritage de la part de quelque famille morte ou je ne sais pas quoi. Il vit la grande vie maintenant. Il ne veut plus jouer d’aucun instrument de sa vie. Il m’a dit que je donne ceci à tous ceux qui aimaient sa musique (ce n’est pas beaucoup de gens, mais ça a été dur quand même)—elle lui donna une petite fleur mauve.

Anouk regarda la fleur.

--C’est une violette.

--Bravo, t’as deviné—bouffa Atlas sarcastiquement. J’étudiais à l’université, avant, tu sais—dit-elle après une pause. J’ai eu quelques problèmes d’argent… J’y retournerai peut-être, si le vieux m’en donne un peu (il le fera, je l’ai aidé autant que j’ai pu après tout). J’étais musicienne—ses yeux s’adoucirent un peu. Il m’a appris plein de choses, en fait.

--Si tu retournes à la fac, tu peux rester chez moi—la petite violette tournait nerveusement entre ses doigts, et ses joues étaient enflammées.

--C’est bien gentil, merci.

La lumière chaude du réverbère éclaira, un an plus tard, la zénitude de la poète aux grands yeux et la musicienne aux yeux durs, un bouquet de violettes dans le cœur de l’une, le son d’un accordéon dans l’autre.

LA DÉLINQUANTE

Adelie Beaume, Lycée Franco Costaricien)

Je suis là, assise dans la pénombre de cet endroit glacial et humide. La seule chose dont je suis capable est de penser. Penser à toutes mes erreurs commises, insignifiantes il y a trois semaines certes, mais beaucoup plus importantes aujourd'hui. Je ne sais même pas ce que je dois faire. Rester là, assise, à ne rien faire, ou alors, prendre la fuite.

Je me rappelle encore de la voix douce et fatiguée de ma mère, me disant de travailler plus, comme mes frères. Je me souviens de mes poings, qui se serraient dès que j'entendais les noms de mes frères. Me comparer. C’était la spécialité de ma mère, depuis la mort de mon père. Lui, je l'aimais bien. Depuis son décès, les choses avaient changé. Ma mère n'avait plus le temps de s'occuper de moi, débordée par le travail, elle n'avait aucune idée de ce que j'étais devenue, une délinquante des rues. Mais ça, elle ne s’en doutait pas le moins du monde.

Et puis un jour, toute cette colère accumulée pendant toutes ses années est ressortie. J'ai pris brusquement mon sac de voyage préféré et j’ai enfourné dedans quelques affaires personnelles, mon canif, et le petit grigri que mon père m'avait offert juste avant son décès. Je suis sortie en trombe, par la porte principale, en ne laissant ni mot ni indice, à ma mère, qui était en train de travailler comme la plupart des jours de l'année.

Je suis allée voir mon pote, et il m'a offert un job. Lui me donnait de petits sachets remplis d'une fine poudre blanche, et moi, je trouvais des gens que ça pourrait intéresser, et je les leur vendais. Deux semaines passèrent, j'étais heureuse, libre.
Un jour, je suis allée dans une discothèque pour faire ma tournée habituelle. Le brouillard se répandait autour de mon corps et une douce brise nuptiale me caressait le visage. Je marchais, vers cette discothèque bruyante, ma sacoche accrochée en bandoulière à mon corps, avec, dedans, la drogue que je devais livrer ce soir-là à plusieurs de mes clients. La dernière chose dont je me souviens, c’est de cette boule multicolore, de ce brouhaha à rendre sourd, et de ces lumières qui tournaient dans tous les sens, à en donner le vertige.

Je me suis réveillée dans un lit confortable, un rayon de soleil me caressait le visage et dès que j’ai essayé de me relever du lit, j’ai pris conscience de la douleur que j'éprouvais au niveau du crâne. J'étais dans un hôpital. J'ai tenté de me souvenir de ce qui était arrivé cette nuit-là, en vain. Puis soudain, j’ai entendu des pas approcher de la porte de ma chambre. J’ai fermé les yeux et j’ai fait semblant de dormir. Quelqu'un est arrivé, m’a pris violemment le bras droit et m’a enfoncé une seringue dans la peau. On m'avait prélevé du sang. Quand les pas se sont éloignés, j’ai su que, malgré ma migraine, je devais quitter cet endroit au plus vite. C'est alors que je me suis souvenue de ma sacoche. Elle n'était plus là, je ne l'avais pas ! Si quelqu’un découvrait ce qu'elle contenait, j'irai sûrement en prison ! Je me suis levée brusquement et j’ai enfilé mes chaussures qui étaient posées près du lit, puis je suis partie le plus vite que j'ai pu. Ignorant les regards interrogateurs des autres patients, j’ai cherché d'un regard paniqué la porte principale de cet hôpital.

Une fois la porte poussée, je me suis engagée vers là où mes pieds m'emmenaient. Je courais, je courais à en perdre haleine. Après avoir suivi mes pieds une bonne vingtaine de minutes, je me suis arrêtée et j’ai levé la tête. Devant moi se tenait ma maison. Mon chez-moi. Cela faisait à peine 2 semaines que j'étais partie, et pourtant il me semblait qu’il y avait une éternité que je n’avais pas vu la jolie clôture qui bordait la rue, une éternité que je n’avais pas entendu les chants mélodieux des oiseaux qui venaient grignoter dans la mangeoire. Je suis avancée lentement vers la porte d'entrée et j’ai gravi les trois petites marches de devant. Puis, prenant mon courage à deux mains, j'ai ouvert la porte.

Mes baskets blanches, devenues maintenant grises, laissaient des traces sur le plancher propre de la maison. J’arrivai au salon et je vis un femme, là, assise à la table, recourbée sur un verre d'alcool. Cette femme, c'était ma mère. Tout d'un coup, j'ai eu envie de la prendre dans mes bras, de l'embrasser... Mais quelque chose m'en a empêchée et je lançai tout simplement d'un voix monotone :

  • Salut.

La vieille femme courbée s’est retournée doucement et j‘ai pu remarquer sur son visage, pâle et fatigué, une lueur qui y est apparue au moment où ses yeux se sont posés sur moi. Elle a écarquillé ses yeux couleur de miel qui se sont remplis immédiatement de larmes. Elle a soufflé en un gémissement :

  • Camille !

Puis elle s’est élancée vers moi et m‘a prise dans ses bras avec tendresse et désespoir. Nous sommes restées un long moment comme ça, sans rien dire, à nous serrer l’une contre l'autre. Qu'est-ce qu'on était bien !

Soudain, une alarme a retenti dans la rue devant la maison. J’ai lâché ma mère brusquement et j’ai regardé derrière mon épaule. Ce que j’ai vu m'a effrayée d'avantage. Deux lumières, bleues et rouges, tournoyaient par la fenêtre. Ces lumières m’ont rappelé la nuit dont j'avais perdu le souvenir, à cause de la boule disco, avec ses lumières qui tournaient dans tous les sens. Je suis restée immobile, paralysée par la peur qui s'emparait de mon corps, seconde par seconde. Deux coups brefs à la porte m’ont ramenée à la réalité, et je me suis retournée vers ma mère, qui, elle aussi, paraissait effrayée.

Ma mère s’est avancée lentement vers la porte, sans rien dire, puis l'a ouverte. Devant l'entrée de la maison se tenaient deux voitures de police et, juste devant la porte, un vieux monsieur portant son uniforme de shérif.

- Police municipale, est-ce que Camille est ici?

Ma mère, livide, s’est retournée vers moi et a ouvert un peu plus la porte, pour que le policier puisse me voir. J'étais leur cible, et ils m'avaient trouvée.

- Je suppose que vous êtes sa mère?- dit-il avec un air grave sur le visage.

- Oui. - réussit enfin à balbutier ma mère.

- Si vous voulez bien, nous allons l'amener au poste pour lui poser quelques questions.

Quand nous sommes arrivés au poste de police, le vieux monsieur m’a conduite jusqu'à une salle avec un grand miroir sur le mur et une table entourée de deux chaises au centre. Il a commencé à me poser quelques questions sur ma famille, auxquelles j’ai répondu sans aucune hésitation. Puis, il a commencé à s'intéresser sur cette nuit dont je n'avais aucun souvenir. Je lui ai confessé que j'étais allée dans cette discothèque et que j'en étais ressortie sans aucun souvenir d'y avoir été, mais, j’ai gardé par pour moi cette vente de drogue que je devais faire ce soir-là. Je n'étais quand même pas bête à ce point ! Quelques minutes après, il est parti chercher quelque chose dans la salle d'à côté et est revenu avec, à ma grande surprise, ma sacoche.

- Quand vous étiez à l'hôpital, nous vous avons pris suffisamment de sang pour nous rendre compte qu'il contenait des particules de drogue. Et en ouvrant votre sac, nous avons trouvé ceci. - Il a pris un des nombreux sachets de drogue que j'aurais dû revendre cette nuit-là et m’ a dévisagée d'un air interrogateur. - Pouvez-vous m'expliquer pourquoi cela a été trouvé dans votre sac? Et, surtout, pourquoi est-ce que vous avez inhalé de la drogue?

Ca y est, me dis-je, je suis cuite ! Alors, sans même que je m’en aperçoive, mes yeux se sont imprégnés d'un liquide salé ; j'étais en train de pleurer. D’une voix à fendre l'âme, j’ai tout raconté, depuis la mort de mon père jusqu'à la fuite de l'hôpital. Au fur et à mesure, que je livrais mon histoire, le visage du policier devenait de plus en plus grave.

C'est comme ça que je suis arrivée ici. Dans cet endroit froid et déprimant, avec, comme seule lumière du jour, une toute petite fenêtre avec des barreaux, devant mon lit. Le matin, je ne sens plus les doux rayons de soleil me caresser la joue, et je n'entends pas non plus les petits chants mélodieux des oiseaux près de la fenêtre. Je ne sens plus la bonne odeur du pain grillé en me levant le matin. Je suis seule. Mes seuls compagnons sont les rats, qui viennent parfois manger dans mes restes de ragoût. J'ai maigri, j'ai presque tout le temps des cernes et je pleure pour un rien. Je pense que c'est vraiment de l'injustice de mettre quelqu'un qui vient d'avoir 17 ans en prison. "C'est la loi" me répète le policier. Je ne suis pas assez forte, je ne pourrai pas supporter plus longtemps d’être enfermée dans cette cellule sans rien pouvoir y faire. Un amalgame de pensées se bouscule dans ma tête. Comment va ma mère ? Est-ce que mes frères savent ce qui m’est arrivé ? Quand est-ce que je vais sortir de cet enfer ?

Le garde de la prison m'informe que demain je verrai pour la première fois ma mère et mon avocat. Je ne dors pas de toute la nuit, craignant la réaction de ma mère en me voyant. Cette semaine, nous ne nous sommes passé que quelques maigres coups de fils, mais nous n'avons jamais discuté en tête à tête de mon cas. Le soleil vient enfin se faufiler par la petite fenêtre de ma chambre. Je me lève et m'habille de cet uniforme orange que j'ai toujours détesté. J’abhorre l'orange. C'était la couleur préférée de mon père… J'avance doucement dans le couloir, le garde derrière moi. J'entends les insultes, les sifflements, les rires, et les cris. Tout ça en même temps.

Quand j'arrive dans la salle de rencontre, je cherche ma mère. Peu de temps après, je vois des yeux, ses yeux, qui me fixent d’un air triste. J'avance doucement vers elle, en me demandant ce que je pourrais lui dire, et dès que je suis devant elle, la seule chose qui me vient à l'esprit est de la serrer fortement contre ma poitrine. Je sens son corps chaud me toucher et ses bras m’entourer ; je me sens bien. Après avoir échangé de brefs résumés de ma situation, nous nous asseyons autour d'une table ronde et un jeune homme, vêtu d'un costard trop kitsch à mon goût, vient s'assoir sur la chaise devant moi. C'est mon avocat. Il entame la conversation, et je me détends un peu à entendre sa voix douce, mais tout autant autoritaire.

Quelques heures plus tard, je suis informée des réponses à toutes questions qui se bousculaient la veille de cette rencontre. Ma mère va très bien, elle s'est enfin rendue compte de la situation dans laquelle je me trouve, et elle ne sait pas quoi faire pour que je la pardonne. Je lui dis que, s'occuper de moi, juste comme avant la mort de papa, serait plus que suffisant pour moi, et elle acquiesce de la tête. Mes frères ne savent toujours pas que je suis en prison, mais ils vont sûrement l’apprendre, car ils viennent nous rendre visite demain après-midi. Et le plus important, je vais encore rester 5 ans dans cet horrible enfer. J'aurai le droit d'avoir des visites, quelques fois, mais je ne pourrais pas sortir d'ici pendant 5 années. Mon avocat a tout fait pour obtenir le moins d'années de prison possible.

Les années ont passé, et à mes 22 ans, j’ai eu enfin le droit de sortir. Sentir enfin le doux vent de printemps me frôler la peau. Sentir enfin le soleil du matin me caresser les joues. Sentir enfin le souffle de ma mère, me réveillant chaque matin pour un nouveau jour de classe. Sentir enfin... la liberté. Tout cela me fait rajeunir. Maintenant, je ne suis plus la petite délinquante qui ne pensait pas avant de passer à l'acte, non, maintenant, j’ai grandi, j'ai mûri, et surtout, qu'est-ce que j'ai changé ! Je ne suis plus comme quand je suis rentrée pour la première fois dans ma cellule. Maintenant, je sais que toutes ses erreurs que j’ai commises auparavant n'ont que fait m'enlever mon enfance, ma jeunesse.

Je marche, le long de la rue, m'imaginant la tête de ma mère quand elle me verra enfin libre, enfin rentrée à la maison. Je me rends compte maintenant que je ne sais rien sur ma mère. Toutes les fois qu'elle venait me rendre visite, nous ne parlions que de moi, de mon futur. Mais maintenant, tout cela va changer, je rentre enfin à la maison.

Quand j'arrive devant le portillon blanc de la maison de ma jeunesse, et que je marche vers la porte d'entrée, mes émotions se bousculent dans ma tête. Puis, dès que j'ouvre la porte principale, une simple petite larme glisse doucement, sans un bruit, le long de ma joue. Je suis enfin chez moi.

Mon regard est soudain attiré par une silhouette, derrière la baie vitrée du salon. Cette même silhouette qui, 5 ans auparavant, était recourbée sur un verre d'alcool, est maintenant dans le jardin, en train d'arroser les bougainvilliers roses et violets de la clôture. Quand j'ouvre la porte-fenêtre, la femme à l'arrosoir se retourne et, dès qu'elle me voit, écarquille ses grands yeux marron, comme elle l'a fait 5 ans auparavant. Elle lâche l'arrosoir et ouvre grand ses bras. Je me blottis tendrement dans ceux-ci, tout en riant et pleurant.

Je salue la nouvelle vie qui m'attend à bras ouvert, et repousse mon passé, qui est déjà bien loin pour moi.

Au Pays de Lyonesse

(:::, Lycée Franco Costaricien, 3ème)

Vendredi 5 juillet,

Les vacances sont arrivées et cet été on ira chez les grands-parents dans leur maison de campagne. On ne connait pas cette maison car toutes les vacances on va dans leur maison en Belgique. Je n’aime pas la campagne, il y a beaucoup de moustiques et de la terre. On partira le lundi, alors je dois faire mes valises. Ma mère m’a obligée à rester à la maison ce week-end pour préparer tout et elle m’a dit que je devais ranger ma chambre. Je pense que ça n’a pas de sens parce qu’on a une femme de ménage qui peut le faire. C’est pour ça qu’on la paie, non ?

Mardi 9 juillet,

Nous sommes arrivés enfin dans cette porcherie. Je déteste cette maison. Elle est sale et dégoûtante. Hier j’ai dû dormir dans le grenier ! En plus, je ne peux pas parler avec mes amies parce que la réception du téléphone cellulaire n’arrive pas ici. C’est vraiment l’enfer. Nous sommes allés manger dans l’arrière-cour. Je crois qu’ici c’est le seul endroit où je me sente à l’aise. Peut-être est-ce dû aux fleurs ou au lac. Peut-être à la brise qui touche mon visage. Ce qui m’a vraiment manqué, c’est la nourriture de ma grand-mère. Ses crêpes sont uniques et sa quiche vraiment délicieuse. L’après-midi est arrivé et mes parents sont allés se promener. Moi, je suis restée avec mes grands-parents. Comme mon téléphone ne fonctionnait pas, et que mon ennui croissait, je suis allée me promener dans le jardin. Le ciel était orange et moi j’étais dans un état de totale zénitude. En marchant, j’ai trouvé une clé qui se trouvait par terre. Je me demande ce qu’elle ouvre.

Samedi 12 juillet,

J’ai demandé à ma grand-mère si la clé ouvrait une porte de la maison. Elle m’a prise à part et m’a dit :

-Chiara, ma chérie, l’histoire que je vais te raconter est l’une des choses dont je me souviens le mieux. Quand j’avais ton âge j’ai trouvé cette même clé dans le jardin. J’ai essayé la clé dans toutes les portes mais elle ne rentrait pas. Je suis arrivée au grenier et j’ai vu une porte. J’ai introduit la clé et je suis rentrée. À partir de cette nuit mes rêves m’ont fait pénétrer dans un monde fantastique pendant tout l’été.

Elle m’a raconté comment elle rêvait que les deux mondes étaient en guerre depuis des années et qu’ils avaient un jour décidé de créer un portail pour les séparer à jamais.

Ma curiosité a grandi : et si ce qu’elle disait était vrai ?

Lundi 14 juillet,

Aujourd’hui c’est l’anniversaire de La Prise De La Bastille et le pays entier est en fête. Même ici à la campagne les gens font des défilés, tandis que moi j’ai réussi à avoir du signal pour parler avec mes amies ! Mon père m’a grondée parce que j’utilisais le téléphone au lieu de fêter avec eux. Je l’ai ignoré. Je pense qu’informer mes amies est plus important que voir un défilé à la télévision. Marre des reproches de mes parents ! Je suis allée au grenier ou, si vous préférez, ma chambre. J’ai mis le téléphone sur la table de nuit et j’ai pris la clé. Je l’ai examinée et j’ai vu qu’elle avait une drôle de forme. Ceci dit cette clé était déjà vieille quand ma grand-mère l’a trouvée. Je me suis dirigée vers la porte. Je l’ai ouverte et un rayon de lumière a fusé. J’ai franchi le seuil.

Chiara entre dans ce monde où elle trouve des tortues avec des ailes et des singes avec un chapeau. Il semblerait qu’il y ait une sorte de kermesse dans ce monde. Elle marche jusqu’à une scène où les singes à chapeau dansent et chantent. Chiara les regarde avec étonnement. Elle n’en croit pas ses yeux. Quelques instants après, la jeune-fille rencontre une femme qui vend de la nourriture. Chiara lui demande quel est cet endroit. La femme lui répond :

-Vous êtes à Nysa, la région des nymphes au Pays de Lyonesse.

‘’C’est pour ça qu’il y a rien d’autre des femmes à la beauté incroyable.’’, pense Chiara.

La jeune fille marche encore longtemps, jusqu’à un village qui parait pauvre. Les maisons sont délabrées et les rues sont de terre battue. Chiara a remarqué qu’il fait tard, elle comprend qu’elle devra passer la nuit dans Lyonesse. Chiara rencontre une femme et lui demande :

-Bonjour Madame, est-ce que vous pourriez me donner un abri pour la nuit ?

La vieille dame regarde la jeune-fille avec mépris et s’en va. Cette situation se répète plusieurs fois dans plusieurs villages.

Chiara a froid et faim. Elle prie pour que quelqu’un ait bon cœur et la reçoive à bras ouverts.

La jeune-fille arrive dans un village près de la montagne. Le froid saisit son être et Chiara décide de s’abriter près d’une maison avec un toit de chaume.

Une dame sort de la chaumière pour jeter la poubelle et voit la jeune-fille recroquevillée sur le sol.

-Pardon, mademoiselle, êtes-vous perdue ? – demande la femme.

Chiara la regarde et hoche de la tête. Elle ne peut même plus se rappeler son chemin pour retourner au monde réel. La dame l’aide à se lever et toutes les deux pénètrent dans la chaumière.

-Pouvez-vous me donner un abri pour la nuit, madame ?

-Avec plaisir…

-Chiara. – complète la jeune-fille.

A ce moment-là, un jeune-garçon entre et voit Chiara.

-Adrien, peux-tu arranger une chambre pour Chiara ?

Le jeune-garçon hoche de la tête et se retourne vers les chambres.

Le lendemain, Chiara raconte son histoire. La famille qui l’a reçue écoute avec attention. En arrivant, la jeune-fille a ressenti le même sentiment de dégoût qu’elle a eu dans la maison de ses grands-parents. Mais ce sentiment a disparu en une fraction de seconde. Chiara aura au moins appris durant ce voyage que les gens peuvent vivre sans téléphones ni ordinateurs.

-D’où êtes-vous originaires ? – demande Chiara.

-Nous sommes des humains comme toi. – dit le monsieur avec un sourire.

-Et comment vivez-vous dans cette région fantastique ? J’imagine que tous vos voisins sont des créatures incroyables.

-Pas du tout. Cette région est réservée aux humains. – dit, finalement, Adrien. Le garçon n’avait pas parlé de toute la soirée jusqu’à maintenant.

-Et alors, comment êtes-vous venus ? À travers un portail ?

-Oui. En réalité, c’est le même portail à travers lequel tu es passée. – explique la femme.

-Comment ça se fait que ça soit le même ?

-Avant que tes grands-parents achètent leur maison de campagne il y a deux ans, c’était nous qui vivions dans cette maison. Si tu observes bien le canapé où tu es assise ici, c’est le même que celui de ta grand-mère.

Chiara observe le canapé. En effet, c’est le même. Il a les mêmes taches et les mêmes coutures.

-Et pourquoi n’êtes-vous pas retourné au monde où vous appartenez ?

-Quand trois personnes passent par le portail, celui-ci se ferme éternellement pour eux. Adrien n’était qu’un bébé quand on a eu la curiosité de savoir ce qu’il y avait derrière cette porte. – l’informe le monsieur.

La famille et la jeune-fille échangent des informations pendant plusieurs heures. Puis, comme il est tard, ils décident d’aller au lit.

Le lendemain, Adrien a emmené Chiara à un lac. Comme ça il pouvait la connaitre plus. Ils ont parlé de tout. De l’école, du collège, et surtout des différences qu’il y avait entre le monde d’Adrien et celui de Chiara.

-C’est un drôle de monde que le tien. – dit Adrien en riant.

-Le mien est drôle ? Le tien a des créatures fantastiques et des régions imaginaires. – se défend Chiara.

-À table ! – crie alors la femme depuis la cuisine.

-Le premier qui arrive a gagné ! – la défie Adrien.

-Tu devrais courir alors ! – dit Chiara.

A partir de ce jour, les deux jeunes passent leur temps à parler, jouer, et même pêcher ensemble. Mais la nostalgie s’empare parfois de la jeune-fille.

Un jour après le déjeuner, Chiara et Adrien se sont retirés au jardin. Alors, Adrien lui demande :

-Veux-tu retourner au monde où tu appartiens ?

-Oui, oui, je le veux. – dit Chiara avec enthousiasme.

-Suis-moi – dit Adrien.

Les deux jeunes montent au grenier où une porte comme celle de la maison des grands-parents est installée.

-Ceci est un portail. Je l’ai découvert quand j’avais 10 ans. Dès le moment où tu retourneras au monde où tu appartiens, tout ce que tu as vécu sera dans ta mémoire pour toujours, mais te paraitra un rêve.

-Je ne t’oublierai jamais Adrien, et cette clé, je la garderai comme mon gri-gri le plus précieux.

Chiara retourne au monde réel. Elle est sur son lit. Tout ce dont elle se souvient c’est d’une lumière aveuglante. Et d’un rêve qui restera gravé à jamais dans sa mémoire.

Publié dans Francophonie

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